Pour Michel Onfray, il faut comprendre les violences terroristes dans les cadres de la logique du Talion. Le 13 Novembre est la tempête de ceux qui ont semé le vent, et la France est en partie responsable de sa moisson. Les attentats de Paris sont une réaction violente à une violence antérieure, celle des interventions armées françaises en Irak et en Syrie. Le 13 Novembre offre par ailleurs un paradigme pour expliquer une certaine hostilité du monde musulman envers l’occident en général. C’est l’interventionnisme occidental, fils de l’impérialisme, lui-même obscur rejeton du racisme, qui en général provoque les réactions de haine violente envers l’occident. L’interventionnisme serait finalement l’expression classique, historiquement éprouvée, d’un colonialisme fardé de rhétorique droit-de-l’hommiste (qui exporte les lumières aux obscurcis du Levant) ou de raison d’Etat, quand l’idéal se fait plus pratique. Bref, la violence terroriste est une violence de représailles. Soyons fair-play : Onfray n’entend pas légitimer la violence terroriste en fournissant des excuses aux bourreaux devenues victimes, et des chefs d’inculpation aux victimes devenues bourreaux (bien que…). Il entend fournir des explications quasiment mécaniques aux fonctionnements de la violence. On agresse, on est agressé et cela est aussi clairement compréhensible qu’un phénomène physique. La politique internationale est réduite à un jeu d’interaction des forces. On peut comprendre, sans rire ni pleurer, comme dit l’épineux Spinoza (dont se réclame Onfray), ce billard qui saigne. La résolution mécanique comporte de nombreux avantages. D’abord, elle évite d’aborder la question juridique insoluble : qui est responsable ? Qui a commencé ? Qui est légitime ? Si le schéma action/réaction néglige volontairement ces questions, c’est pour profiter de ses avantages pratiques. La compréhension mécanique signifie la maîtrise d’un système dont on peut enfin décider le terme. Autrement dit, quoiqu’il en soit des questions de légitimité, si l’interventionnisme est la cause mécanique des maux de l’occident, il suffit simplement de ne plus intervenir en Orient. La thérapeutique mécaniste brille donc par sa simplicité et donne l’espoir d’une maîtrise sur le cours des événements. Si la France ne veut plus subir de représailles, qu’elle arrête d’intervenir en Orient. Cependant, une telle conception peut-elle supporter toutes les conséquences de ses aveuglements méthodiques ? D’abord, elle traite avec une inacceptable légèreté la question de l’ambivalence, terrifiante, de l’interventionnisme. Comme le souligne Huntington, intervenir est une injustice, ne pas intervenir est une injustice. On doit se débrouiller avec ça, hélas. Mais quoiqu’il en soit, la condamnation unilatérale de l’interventionnisme est une utopie irresponsable. Ce sont ceux-là mêmes qui condamnent les bombardements aujourd’hui qui diront qu’on « savait et qu’on a laissé faire », qu’on a laissé prospérer l’ennemi à l’extérieur jusqu’à ce qu’il devienne invincible. On connait l’Anschluss, qui peut dire désormais que ce qui se passe ailleurs ne nous concerne pas ? Ensuite, la question de la pertinence de l’hypothèse des représailles ne peut pas ne pas se poser. Si le 13 Novembre est une action de représailles contre l’opération Chammal, pourquoi est-ce la France qui a été visée et non les Etats-Unis responsable de quatre-vingt-dix pourcent des bombardements, ou un autre des dix-huit pays engagés dans l’opération ? Pourquoi les terroristes impliqués dans les attentats sont-ils Français ? Les attentats de France relèvent en réalité d’une stratégie politique dont la finesse dépasse infiniment la logique brute du Talion. On sous-estime l’ennemi en la réduisant à une question de représailles. Cette stratégie est celle de l’idéologue et stratège du Djihadisme moderne, le Syrien Abou Moussab Al-Souri. Les chefs djihadistes ont plus que la vengeance en tête. Ils ont construit un idéal sur le mythe d’une gloire passée appelée à un retour. Ils pensent à l’ancien califat qui avait crée le grand monde arabe aujourd’hui morcelé, inconciliable et implosif et rêvent de l’unité des peuples qui en avait fait la puissance. L’unité, donc le pouvoir politique, se construit dans la détermination réciproque d’une idéologie et d’un ennemi commun. L’idéologie fait l’ennemi commun, l’ennemi commun fait l’idéologie. Le prolétariat est la contestation de la bourgeoisie. La démocratie est une réaction à l’aristocratie. L’islam est l’ennemi de la mécréance. La radicalité de l’idéologie appelle la radicalité du rejet de l’ennemi. Le mécréant moderne, désigné, invasif, antinomique, insupportable, est l’occident. La haine de l’occident est coextensive à la radicalité de l’islamisme, toutes deux articulées à une volonté d’unification d’un grand monde arabe. Pour le dire autrement, le monde religieux islamiste rêvé par les djihadistes s’unifie dans la haine de l’occident. Plus les musulmans verront en l’occident mécréant un ennemi, plus le monde musulman religieux sera fort. Au regard des rapports de force en présence, il n’est pas question d’attaquer l’occident de manière frontale, d’armée à armée. Les djihadistes n’en ont pas les moyens. Il faut l’attaquer là où il est le plus faible. Les Etats-Unis sont trop forts de leur efficacité opérationnelle et de leur assurance idéologique. L’Europe en revanche est le point faible de l’occident, qui a construit un système dans le flou de la coopération politiquement désincarnée. La France est le point faible du point faible. Elle est le « ventre mou » de l’occident, dit Al Souri. C’est un pays divisé, fragile et crispé par ses crises d’identité, ses armes pathétiquement incantatoires, ses slogans, ses défilés cathartiques en images de révolution, sa complaisance romantique devant le spectacle de sa propre déchéance, ses moralistes venus hypothéquer le futur pour racheter le passé. Ses populations immigrées en souffrance sont une aubaine pour la récupération identitaire. Ils sont la poudrière qui attend l’étincelle djihadiste. La France est le point de contact idéal d’un choc dont la logique est celle de la réaction en chaîne : d’abord la France et puis le monde. Les chefs de guerre djihadistes n’ont cure des civils tués dans les bombardements, leur vision est stratégique. Si l’on veut mettre l’occident à genoux, il faut frapper en plein sur son point faible. Les stratèges du djihadisme comme Al Souri, ont choisi La France pour sa faiblesse. La faiblesse implique une incapacité de réaction et une incapacité de défense. La force est classée à tort dans la catégorie de la dérive autoritaire et réactionnaire. Pourtant, toute défense implique une résistance, donc une force. Une Nation forte n’est pas une Nation violente, c’est une Nation qui affirme et assume des valeurs et les considère comme intégrantes. La Nation faible confond l’affirmation de ses valeurs avec un « repli identitaire » et y perçoit une force d’exclusion. C’est une aubaine pour les agresseurs : le pays n’opposera aucune défense idéologique de peur d’aggraver des mésententes communautaires causées par cette faiblesse idéologique même. Jamais il ne s’est dit que c’est la faiblesse idéologique qui implique aussi la désolidarisation d’une partie de la population, celle des déclassés zonards chair à djihad, qui ne voit pas dans leur pays ni inspiration ni de motif de respect (cf. Lettre à un martyr). La République est trop faible pour faire des citoyens. Voilà donc notre hypothèse : si la France a été attaquée ce n’est pas affaire de représailles, c’est parce qu’elle est faible. La faiblesse explique non seulement les attentats qui ont frappé la France ces dernières années, mais aussi le terrorisme ordinaire et quotidien de l’agression républicaine normalisée qui atteint les profs, les conducteurs de bus et les filles en jupe, et qui aura le pays à l’usure, lentement, assurément, et en silence. La faiblesse des valeurs qui ne sont plus assumées par un pouvoir vacant ouvre la porte aux malveillances de toutes sortes. Ce n’est donc pas la considération des possibles représailles qui sauvera la France, mais la force, unité d’un peuple sous des valeurs communes. La considération des représailles est une expression de la faiblesse. La peur des représailles saisit un pays si peu sûr de lui qu’il délégitime lui-même toute intervention à l’étranger désamorçant à l’avance la question de sa légitimité. Il va bientôt se dire que ses dessinateurs et caricaturistes, pourtant issus d’une tradition satyrique ancienne, ne devraient pas dessiner Mahomet, question de prudence. Les femmes auront peut-être un code vestimentaire et un couvre-feu à respecter les soirs de fête pour ne « provoquer » personne. La considération des représailles pour fonder une politique et un modèle de société n’est pas seulement couarde, elle est suicidaire. Elle consiste dans la négation complice de soi, dans l’effort soutenu pour s’affaiblir jusqu’à disparaître, dilué dans la revendication de l’autre. Ce n’est pas elle qui sauvera la France des terroristes, qui profitent de l’opportunité. La force n’est ni violente ni agressive par nature. Elle n’est pas la propriété du fascisme. Elle consisterait plutôt dans une fermeté de position et dans la croyance à un modèle, qui, en constituant l’unité d’un peuple, impose une résistance à ce qui entend le fracturer. C’est en contrevenant au projet de fission de la société française, premier moment d’une réaction en chaîne mondiale, que l’on pourra déjouer la stratégie djihadiste.

Al Dabaran

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