Autant te le dire tout de suite, je ne vais pas te chercher d’excuses. Mais c’est vrai que tu ne viens pas de nulle part. Ce n’est pas un hasard si tu es devenu possible ici et maintenant. C’est malheureux à dire mais tu es un produit de nos sociétés. Tu es né à Toulouse, Anderlecht, ou Paris, dans le « ventre mou » de l’occident, là où il faut frapper si on veut faire mal. C’est ce que pense ton ami Abou Moussab Al Souri. Il règne dans ce gras de civilisation une confusion profitable à l’ennemi, celle des identités floues et délaissées qui se regardent en chiens de faïence en n’attendant qu’une idéologie folle pour s’exalter, celle qui souille l’attachement républicain du soupçon réactionnaire, celle qui ne voit plus ce qui sépare la bonté de la folie. Dans cette matrice de la tyrannie, tu fais partie des milieux les plus fragiles, où le relâchement des valeurs traditionnelles souvent structurantes se fait le plus sentir. Ta famille, c’est l’enfer. Tu es l’enfant des remariages et des redivorces, des affects malmenés, des attachements précaires, des mères instables, des pères en faillite qui expriment leur impuissance par la démission ou la violence. Tes frères enfument leur avenir dans des cages d’escalier qui sentent l’urine. L’horizon est barré par les murs de la cité couverts d’obscénités. Le conflit et la bassesse des sentiments t’ont donné très tôt des inspirations morbides. Tu ne peux aimer personne. Tu ne peux respecter personne. La famille était censée être un moment de l’éducation citoyenne, elle est devenue l’incubateur de l’ennemi public. Tu fais doucement l’acquisition dans cette société en miniature des tristes passions dont tu abuseras dans le grand monde. Ta colère est sans objet, tu craches sur tout et sur tout le monde. En d’autres temps, en d’autres lieux, tu aurais pu compter sur les institutions de la République pour te rattraper dans ta chute. L’école aurait pu te fournir un modèle de citoyenneté, celle qui fait les hommes libres (cf. Les révoltés du mois de Mai). Mais qui peut encore comprendre ça ? On t’a laissé croire qu’un homme libre est un consommateur. L’école était censée favoriser l’élévation des hommes par une bienveillante et rigoureuse exigence. La distinction par l’excellence de l’éducation n’a ni milieu ni couleur ni origine, elle est le lieu de l’égalité républicaine. Mais les bons sentiments égarés (caractéristique des ventres mous) ont fait de l’égalité républicaine un égalitarisme absolu. Distinguer est encore exclure, pense t-on, c’est encore un résidu d’inégalité. Alors on distribue des diplômes devenus insignifiants et ridicules aux enfants du Dimanche Martin citoyen… tout le monde gagne, donc tout le monde perd. La seule distinction qui reste une fois qu’on a sacrifié le mérite est celle du milieu social et de l’argent. L’égalitarisme favorise le retour des privilèges, tu ne savais pas ?  Toi, tu n’iras pas dans une de ces écoles de commerce qui sélectionnent par le revenu. Ce n’est pas par l’école que tu t’en sortiras, ça tu le sais. Regarde le prof se tortiller dans son nouveau costume d’assistante sociale, entre ses dépressions et ses congés maladie, il incarnait la valeur du savoir, il était le premier  lieutenant de la République, il en est devenu le bouffon maintenant que cette valeur est devenue une parure mondaine tout juste bonne à accompagner les petits fours. La connaissance ? Pourquoi faire ? La connaissance, c’est mille cinq cent euros nets pour se faire malmener par les brigades de la jeunesse violente et fière d’elle. La bêtise multimillionnaire est couronnée mille fois par jour sur tes écrans. Ils te donnent les seuls exemples que tu n’auras jamais. Sans idée de grandeur à laquelle tu pourrais au moins prétendre, ton drame poursuit son petit bout de chemin. Mis sur le ban, tu regardes de loin la bourgeoisie intramuros de l’autre côté de la société. Elle nourrit ton ressentiment. C’est tout un système que tu mors au sang quand tu agresses les bobos et les fils à papa. Les filles qui ne se retournent pas quand tu les siffles dans la rue sont des salopes. Elles participent d’autant plus à ton humiliation que tu les désires et qu’elles en désirent d’autres. Il faudrait que tu puisses les dominer. C’est la seule chance que tu aurais de les garder. Tu restes  en dehors des soirées, en dehors du marché du travail, en dehors de tout ce qui ne sent pas la misère humaine et morale, ton chez toi, ton fardeau. Tu écris ton histoire dans les marges. Tu vis de petits larcins, tu fais dans la contrebande, le milieu demande un surcroît de violence. Un jour ça dérape. Tu commets un crime. Ceux qui ne veulent pas appeler les choses par leur nom disent que tu as fait une « bêtise ». C’est pour ne pas voir. Les ventres mous préfèrent fermer les yeux, ça leur évite de se lever. Tu deviens  détenu de droit commun. Ta haine de la société française est totale et on s’en étonne. Mais qu’est-ce que la France avait à te proposer de mieux ? La liberté ? Regarde ce qu’on en fait de la liberté. On l’abîme avec mépris dans la satisfaction incontinente des lubricités de tout poil. On ne pense qu’à jouir. On se soulage éperdument dans les objets parce qu’il n’y a rien d’autre à vouloir. Le langage universel du matérialisme, érotisme toc de la misère morale, est l’argent. La vie est confiée au marché. Tout a un prix, donc rien n’a de valeur. Ce qu’on offre en guise de culture convient à la demande, c’est-à-dire à une expression spontanée de la nature humaine, qui va, quand elle n’est pas éduquée, au plus facile, au plus commun, au plus bas, au plus reptilien de nos caboches engourdies. Elle se fait des dieux à la mesure de sa médiocrité et se fait l’idolâtre d’une réalité devenue la propriété plate, bruyante et colorée des écrans. La nouvelle parole sacrée sort de la bouche énormément dentée des animateurs télé. Pas étonnant que certains finissent par voir des porcs et des chiens bons à abattre. Tout est faux. Tout sonne creux. Tu attendais autre chose : une colonne vertébrale, une force, une inspiration. Mais il n’y a plus rien. C’est là, sur les ruines d’une civilisation, dans ta chambre, ou dans ta cellule, que tu trouves  l’islam. L’islam prend la place de ta conscience délaissée. Certains pensent que le problème vient de l’islam. Le problème est le vide laissé, le nihilisme, et la faiblesse idéologique de l’occident. La vacance du pouvoir laisse la place à tout ce qui y aspire. La culture a horreur du vide. L’islam est une idéologie concurrente aspirée par l’opportunité, voilà tout. Il donne une langue à ton chaos. Il te donne un sens, une direction à suivre, une histoire et des lois. La loi n’est plus comme avant le cadre protecteur du privilège des autres, c’est la voix du sacré, donc du respect. La loi Française désignait tes ennemis, la charia te fait des frères. Tu trouves en islam tout ce que le pays désacralisé ne t’a pas donné, surtout l’impression de participer à quelque chose qui te dépasse. Ce qui nous dépasse fournit du sens. L’islam est un défi lancé l’absurdité de ta vie. Malheureusement, tu vas vite aborder la question du Djihad. L’équivocité du concept te permet l’interprétation la plus terrible, celle qui va le mieux avec ton histoire. Tu étais le nuisible des autres, une déjection sociale, un parasite, un pou. Tu n’étais rien. Voilà que tu deviens le bras armé de Dieu. On t’apprend que les musulmans sont faits pour dominer le monde. Tu peux enfin faire partie des seigneurs, ceux qu’on respecte. On te promet des houris aux yeux de biches si tu fais bien les choses, 72 pour l’éternité… mais ça ce n’est pas pour tout de suite. On te donne de l’argent, et tout le matériel idéologique utile à ta vengeance. Tu sais maintenant que ceux qui t’ont toujours humilié sont des prostituées, des mécréants, des porcs et des chiens. Tu vas pouvoir les punir bientôt, et tu pourras le faire au nom de Dieu. Paris tremblera sous leurs pieds et les rues deviendront étroites pour eux. Tu aimes la mort plus qu’ils n’aimeront jamais la vie. Il faut que quelqu’un paye. Ils verront qui tu es. Ils verront tous.

Al Dabaran.

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