C’est énorme la culpabilité. Chez les occidentaux élevés au bon grain de la libre pensée elle prend des proportions monstrueuses. La libre pensée est notre histoire, notre espérance, notre combat. Elle est l’acquisition du sens critique, elle est donc aussi l’acquisition de la capacité d’autocritique. Ajoutons à cette belle compétence autocritique un héritage chrétien sécularisé de mille manières, si bien digéré qu’on le croit tombé dans l’oubli mais qui nous incite toujours à tendre les deux joues, et nous obtenons une culture faite pour subir son propre joug. Et encore n’a t-on même pas parlé encore de la dette irrécouvrable que l’occident a contracté envers le monde entier pour l’avoir martyrisé pendant des siècles. L’esclavage, la colonisation, les croisades, les invasions, les génocides, les exploitations, il peut nous punir jusqu’à la fin des temps le monde. Nous attendons le châtiment. Nous le voulons. Nous sommes à nous-mêmes nos premiers ennemis et les meilleurs alliés de nos adversaires. Nous les excuserons toujours, nous nous accuserons sans cesse, obsédés par « nos erreurs ». Pourtant, il ne s’agit pas seulement d’une pathologie morale d’enfants qui vivent le destin rédempteur que leur ont tracé leurs parents. L’automutilation compulsive de l’occidental est porteuse d’un sens politique d’une extrême finesse. Ce qu’il veut c’est partager les responsabilités, et peu importe si le partage est artificiel (« nous sommes aujourd’hui victimes, mais nous avons été tellement bourreaux »). Dans la cour du simulacre de justice, on entend limiter le sentiment de révolte et d’injustice, désamorcer la bombe à réaction, enrayer la marche de la vengeance qui ne s’arrête jamais et surtout pas aux portes de l’enfer. On étouffe la réaction pour éviter l’exagération de la réaction. Car pour l’occidental, c’est un fait enseigné par l’histoire : la réaction est infoutue de se modérer. Elle se met en chaîne. Elle commence avec un prince assassiné à Sarajevo, elle passe par Auschwitz et ne finit jamais. Elle va aux extrêmes comme le fleuve à la mer. Elle fait des amalgames. Elle est radicale par essence. Elle s’attaque aveuglement à n’importe qui et à n’importe quoi pourvu qu’elle s’exprime. Elle fabrique d’autres injustices. Elle est la nourriture du malheur. Il vaut mieux confondre un peu les bourreaux et les victimes (allez c’est un mauvais moment à passer), se partager un peu les responsabilités quitte à remonter à des dettes ancestrales, dealer une justice bon marché, plutôt que de se risquer à sortir les vieux démons de leur boîte. Il y aurait en chacun de nous un nationaliste enragé, un nazi en puissance prêt à se réveiller à chaque maudit 13 Novembre, qu’il faut dresser à l’avance. La Nation est donc à fond engagée sur la voie de la passivité et du silence par crainte de la réaction. Nous ne voulons rien, nous ne refusons rien, nous levons les mains tout minaudant de sourire, nous sommes condamnés à accepter. Tout accepter pour mieux rassembler, pour construire l’unité politique, pour éviter le conflit. Surtout pas de revendication républicaine, c’est la porte ouverte à la bête ! Quelle erreur ! Au mieux nous ferons quelques marches, nous lanceront quelques tweets dans le chaudron numérique, nous ferons des slogans, et nous nous paierons de mots. Voyez ce soupçon idiot envahir les interlignes de la bien-pensance quand les français sortent leur drapeau comme le font de simples citoyens que l’on attaque, comme si affirmer ses valeurs, les exiger, les exprimer à l’aide d’un symbole, fut-il un drapeau, c’est être facho. C’est aussi bête que ça. Le fantôme de Nuremberg est bien là, menaçant, mythifié, épouvantail absolu et dernier, seul véritable paradigme du mal. On est prêt à tous les compromis pour éviter le retour de l’immonde. Cette lâche vertu qui pousse une partie de nos concitoyens à préférer l’affaiblissement de la nation plutôt que de se risquer au choc des civilisations sur son territoire est une morale d’enfant riche. Ils préfèrent « prendre sur eux » comme si la République avait les moyens d’absorber une dose raisonnable d’agression. Mais peut-être ne peut-elle plus se permettre d’être généreuse en acceptation du tout venant politique. Peut-être ne peut-elle plus faire d’entorse à son régime démocratique. Peut-être se doit-elle d’être économe de tous les centimètres de République perdus. Peut-être doit-elle abandonner la passion castratrice de la culpabilité et oser à nouveau vouloir et agir. Ce n’est pas être fasciste. L’amour de la Nation est fait d’affirmation et donc de refus. C’est un amour qui est non violent, mais il est ferme comme un idéal. Il doit être assumé par les républicains ou il sera laissé aux fascistes.

 

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