Le porc supporte toutes les ambiguïtés nées du désir malade des hommes, à la fois objet d’une répulsion atavique relayée par les décrets religieux et d’une attirance exaltée par l’interdit. La discrimination animale assumée par deux des trois grandes religions monothéistes, relevée par une frustration quasi libidinale, ne peut résister à l’idéal égalitaire de l’occidental républicain et démocrate. En République, où l’égalité est une valeur cardinale et peut-être sacrée, le porc a le droit inaliénable d’être mangé comme le bœuf, le poulet ou le poisson. La France ne stigmatise pas…jamais. Elle ne néglige aucune atteinte à la justice, anéantie à chaque outrage, aussi minime soit-il. Comme la Femme occidentale moderne, le Porc (avec un grand P) ne souffre pas en droit de la différence de statut inspirée des traditions religieuses. Mais la question dépasse le cadre dépassionné, froid, administratif et inerte de la justice. Car ce n’est pas la justice qui inscrit le porc dans la culture de l’occident…c’est l’amour. Qu’est-ce que l’amour ? D’un point de vue général, nous aimons ce qui est bon pour nous, c’est-à-dire ce qui nous convient, ce qui est conforme à notre nature. En amour, on se complète, et puis on se comprend, dit-on. Force est de constater que d’un point de vue organique, le cochon convient tout à fait à l’Homme. Il est son complément, cet autre lui cherché dans le secret de la nature. Il ne s’agit plus de ce voisinage de hasard, expérience de tout ceux qui ont rencontré un porc et qui ont deviné la familiarité de cette chair rose et nue…la complémentarité anthropo-porcine est désormais reconnue par la médecine, et laisse entrevoir des possibilités inouïes en termes de greffes d’organes. Si la mort est le terme d’une déficience fonctionnelle d’organes, leur remplacement virtuellement infini que permet l’exploitation médicale porcine ouvre les portes de l’éternité. Le porc est le véhicule d’accès vers le divin. Citons seulement, comme moment inaugural d’une nouvelle collaboration, l’exemple de ce jeune chinois qui, le 8 février 2016, retrouve l’usage de son œil gauche perdu suite à la manipulation malheureuse d’un pétard, grâce à la greffe d’une cornée de cochon. La peau de l’animal, proche de celle de l’homme est l’espoir le plus concret pour le traitement des grands brulés. Le modeste frère, venu faire don de lui pour le salut d’un lointain semblable, ne mérite pas le dégoût qu’il inspire. Mais peu lui importe les tristes passions qu’il inspire aux hommes, il est étranger aux couronnes comme aux épines, il les reçoit d’un même front. Meurtri par les hasards des circonstances qui l’ont fait ce qu’il est, supportant dignement le malheur d’être né, il livre son cœur innocent, invincible et gai dans un corps en disgrâce. Son humilité terrienne et authentique, proche de la terre, presque paysanne, le rend étranger à la rétribution. Le porc est un modèle d’abnégation. Il est peut-être sale, mais il est pur. Il mériterait le nom de saint. Souillé de l’opprobre des puritains parce qu’il est omnivore et un peu affaissé, quel homme pourrait lui jeter la pierre ? Il est comme lui ! Est-ce une proximité insoutenable pour l’animal arrogant que nous sommes qui fait de lui un ennemi désigné ? La haine du porc dissimule t-elle la haine de l’Homme ? Sa faute principale, impardonnable, c’est d’avoir été crée si proche de nous, comme une image à l’envers, un miroir insolent. Mais contrairement à son double, le porc est humble, proche de la terre. Son anatomie lui interdit de lever la tête, il ne verra pas les étoiles, ignorera l’élan infini. Il ne sera pas non plus avalé par la béance du vide. Loin de ces vertiges, grâces et damnations de la conscience, le porc n’est pas un animal métaphysique. Il sera à jamais étranger aux délices de l’extase comme aux angoisses issues du frottement entre l’être et le néant. Ce n’est pas grave, sans Dieu, il est soustrait aux crimes commis en son  nom.

Nous aimons le cochon car nous aimons ce qui est bon pour nous, et ce n’est pas seulement une question de médecine. La joie, dit Spinoza, est l’expression sensible de la rencontre entre deux natures qui se conviennent. D’un point de vue gastronomique, le porc est une source quasiment intarissable de joie. La joie d’une convenance totale est exprimée par l’expression populaire : Tout est bon dans le cochon. Autrement dit, travaillées par les techniques de la gastronomie, toutes les parties de la bête sont sources de délectation.  Il n’y a rien à jeter. Il n’y a pas de résidu.  Le porc, c’est l’exploration exhaustive du délice, son sommet et son final. L’argument n’est pas à circonscrire dans le domaine de l’économie des plaisirs propre à la logique hédoniste. L’absence de déchets résiduels présente un intérêt à la fois écologique et moral. D’abord, la consommation de porc est l’archétype d’une optimisation de ressource énergétique. La même unité organique, le même individu, permet une multiplicité de possibilités en termes d’utilisation qui va jusqu’à son exploitation totale. L’optimisation énergétique, qui articule le minimum de moyens utilisés avec le maximum d’effets, est un enjeu écologique en ce que son objet vise notamment l’économie des ressources. La consommation de porc récuse le gaspillage. Il s’agit d’une consommation responsable, signe de maturité, qui double l’intérêt écologique d’un intérêt éthique. La tradition respectueuse de la ressource et consciente de sa valeur adresse par la consommation totale du cochon un message à l’époque, gâtée par l’illusion de l’abondance. L’abondance produit le surplus, qui devient inutile et perd alors toute valeur. L’humanité face au mirage de l’intarissable, accumule les déchets, programme les obsolescences, et gaspille sans inquiétude. L’opulence détruit la valeur. L’exigence d’une exploitation qui refuse  tout résiduel redonne de la valeur à la ressource elle-même (un peu comme quand on demande aux enfants de terminer leur assiette), dans un regain de préciosité. La tradition sait que sa ressource est précieuse. Toutes les régions de France présentent fièrement à la face du monde témoin de ses triomphes une spécialité à base de porc. Tous les grands blockbusters culinaires qui ont fait sa gloire comportent la touche porcine. La choucroute Alsacienne, le cassoulet (de Toulouse ou de Castelnaudary), les figatelli Corses, sont des variations sur un thème universel : le porc. L’inclination générale d’une nation pour ce matériel gastronomique ne peut être comprise que sous le signe de la diversité. Cette diversité, comme autant de déclinaisons d’une identité commune, constitue le paradigme de la synthèse Républicaine. En effet,  quand on parle des spécialités régionales de France à base de porc, la diversité n’est pas un obstacle à l’unité. Bien au contraire, ce sont ces appropriations particulières d’une thématique commune qui glorifient les différences tout en reconnaissant leur racine unique, leur inspiration solitaire et universelle. Le porc est le symbole de la synthèse réussie des différences. Il constitue une fierté locale et nationale à la fois, preuve du dépassement possible des particularités dans une unité qui les conserve. Il est la preuve que les particularités sociales, singulières et différentes, sont capables de se dépasser dans une unité transcendante et structurante. Le porc honore nos identités locales en même temps qu’il constitue un référent unique à l’échelle de la Nation. Le porc est le ciment de notre civilisation. Voilà tout.

Et puis de toute façon, si on en croit Saint Matthieu, ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui en sort. On pourrait expliquer le principe à tout un tas de très pieux criminels. Mais ce serait de la confiture donnée à des cochons.

 

Al Dabaran

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